L’effet Pygmalion a un côté caméléon : il suffit de faire une recherche sur Google pour constater que le mythe a été repris par pratiquement tout le monde. Des écrivains aux cinéastes en passant par les enseignants et, bien sûr, les RH, la prophétie auto-réalisatrice fascine et se retrouve dans de nombreux travaux et théories.
Dans cet article, nous verrons combien ce phénomène est pertinent pour la vie en entreprise et pourquoi il est important d’en tenir compte pour pouvoir optimiser la productivité interne, au lieu de la limiter.
L’effet Pygmalion, aussi appelé effet Rosenthal (du nom du premier chercheur à l’avoir théorisé), est tout simplement la « prophétie auto-réalisatrice ».
C’est un phénomène psychologique selon lequel les attentes exprimées par une personne à l’égard d’une autre peuvent influencer ses performances et son comportement.
Nous percevons déjà ici les similitudes possibles avec le monde des RH : comme nous le verrons dans la prochaine section, si l’on crée des attentes positives à l’égard des ressources, selon l’effet Pygmalion, les ressources donneront le meilleur d’elles-mêmes, répondant ainsi aux attentes.
Mais revenons un peu en arrière : d’où ce phénomène vient-il ?
Pour en connaître l’origine, nous devons rembobiner le film, retourner sur les bancs de l’école et nous repasser (rapidement, c’est promis) le mythe conté par Ovide.
Nous sommes dans la Grèce antique, Pygmalion est le roi de Chypre, ainsi qu’un sculpteur émérite. Il modèle une statue de femme et en tombe éperdument amoureux, au point qu’il se rend au temple d’Aphrodite, la déesse de l’Amour, et la supplie de transformer son œuvre en créature vivante. La déesse, bienveillante, exauce sa prière.
Le mythe renvoie donc à l’idée d’une image idéale qui, grâce à une profonde conviction, se transforme en image réelle.
C’est ce mythe qui a donné son nom au résultat d’une expérience réalisée des siècles plus tard (plus précisément, dans les années 1960) par une équipe de psychologues américains dirigée par Robert Rosenthal et Lenore Jacobson.
En partant des caractéristiques de ce que l’on appelle la prophétie auto-réalisatrice, les deux chercheurs ont procédé à une expérience de psychologie sociale.
Ils ont soumis à un test d’intelligence un groupe de garçons et de filles âgés de 6 à 10 ans. Parmi ces enfants, les deux psychologues en ont choisi plusieurs au hasard et leur ont dit (en leur mentant) que le test avait démontré qu’ils étaient particulièrement doués sur le plan intellectuel. Ils ont également communiqué cette information à leurs enseignants.
Un an plus tard, ces élèves ont été soumis à un nouveau test : les résultats, cette fois-ci véridiques, ont révélé qu’ils s’étaient réellement améliorés, confirmant l’hypothèse selon laquelle les préjugés positifs des enseignants à l’égard de leurs élèves en conditionnent le comportement et, par conséquent, les performances.
L’effet Pygmalion a été largement débattu dans le domaine de l’éducation. C’est un sujet d’intérêt qui est souvent porté à l’attention des enseignants et de l’institution elle-même. Le but est que la prophétie auto-réalisatrice fonctionne uniquement en positif, jamais en négatif. Car s’il est avéré que les attentes positives sont l’antichambre de la réussite, les attentes négatives peuvent être l’antichambre de l’échec (on parle alors d’effet Golem), souvent sans qu’il n’existe aucun fondement réel, juste des préjugés.
On comprend aisément comment le mythe – ou peut-être vaudrait-il mieux dire « l’effet Rosenthal » – peut s’appliquer au monde du travail.
En termes de définition pure, l’effet Pygmalion dans la sphère professionnelle renvoie au type de comportement adopté par le leadership qui conditionne – positivement ou négativement – les performances des membres de l’entreprise et plus généralement, les résultats de l’ensemble de l’organisation.
Dans un excellent article de 2003 paru dans la Harvard Business Review, J. Sterling Livingston explique en détail comment l’effet Pygmalion peut influencer positivement ou négativement les activités de management.
En bref, la théorie de Sterling Livingston indique que lorsque les managers manifestent des attentes élevées, cela se répercute positivement sur la productivité. L’inverse se produit lorsque les attentes sont réservées, voire nulles.
Inconsciemment – quoique souvent de manière pas si inconsciente– les managers (ou tout au moins ceux qui dirigent des équipes dans le cadre de leur mission professionnelle) adoptent une attitude qui reflète fidèlement l’idée et la perception qu’ils se font d’une personne.
Ainsi, un manager qui croit au potentiel de ses collaborateurs fera tout pour que ce potentiel s’exprime et se réalise, ce qui profite à la productivité de son groupe de travail et de toute l’entreprise. Inversement, un manager qui n’a pas confiance dans les capacités des personnes qu’il dirige court à sa propre perte : il nuit aux performances des individus comme à celles de son « équipe ».
Il faut également préciser, surtout dans les cas où les talents sont jeunes et encore peu familiarisés avec la vie en entreprise, que l’effet Rosenthal doit être au fondement de leur parcours d’éducation au monde du travail, tout au moins au contexte spécifique dans lequel ils sont immergés.
Le manager doit agir comme un guide, en partant du principe – qui constitue certes un a priori, mais avec les meilleures intentions possibles – que les personnes placées sous sa responsabilité sont les bonnes et qu’il s’agit d’en « faire ressortir » le meilleur, afin d’obtenir un résultat à la hauteur des attentes les plus élevées.
Pour comprendre comment l’effet Pygmalion profite à l’entreprise, il faut également évoquer un autre mécanisme, connu sous le nom d’effet Hawthorne.
Théorisé pour la première fois en 1927 par Elton Mayo et Fritz J. Roethlisberger, ce phénomène démontre scientifiquement l’existence d’un lien entre des facteurs sociaux et des éléments comme la productivité et la performance.
Des expériences menées à Hawthorne (d’où le nom de l’effet) dans l’une des usines de la Western Electric ont montré qu’à partir du moment où les travailleurs avaient la possibilité d’exprimer leur ressenti à l’égard de leur travail, avec l’assurance qu’ils seraient écoutés et que leurs besoins seraient pris en compte, leur productivité augmentait. Cela ne dépendait pas seulement des conditions environnementales dans lesquelles ils étaient placés (espace de travail, éclairage, etc.) : ce résultat était davantage dû à des facteurs psychologiques que sociologiques.
Mayo a ainsi découvert que les travailleurs étaient principalement motivés par des besoins sociaux, liés à leur relation avec leurs supérieurs.
Le fait que la motivation soit à la base de la productivité n’est pas nouveau : l’effet Pygmalion ne fait qu’apporter une pierre à l’édifice de la compréhension du phénomène, en affirmant – études scientifiques à l’appui – que le comportement des managers influe sur les performances des individus, quand bien même ce serait de manière inconsciente.
En particulier :
Si cela peut sembler facile, enclencher un cercle vertueux de « prophéties auto-réalisatrices » n’est pas si simple, surtout dans le monde du travail où les délais, les responsabilités et la hiérarchie ont tendance à prendre le pas sur tout le reste.
Il est nécessaire d’avoir un plan de bataille, une ligne stratégique à suivre qui permette de définir les mesures et les moyens à mettre en place pour que l’effet Rosenthal (ou Pygmalion) soit réellement un avantage pour l’entreprise.
Voici quatre conseils qu’un responsable RH pourra suivre pour établir son plan d’actions afin d’obtenir un « effet Pygmalion » efficace chez ses ressources :
1) Favoriser l’instauration d’une relation fructueuse entre le leader et son équipe
La relation entre un manager et les membres de son équipe, à l’instar de toute relation entre des personnes qui travaillent ensemble, doit être basée sur la confiance, le respect mutuel et l’échange.
L’établissement de ce type de relation dans l’entreprise permet de créer un environnement de travail accueillant où chacun se sent libre d’exprimer son point de vue, avec la certitude d’être écouté, et où, simultanément, il est possible de mettre en commun les compétences et les idées dans l’optique d’une productivité partagée.
Un bon moyen d’y parvenir, comme nous l’écrivions plus haut, est de promouvoir dans l’entreprise le rôle du manager non pas comme un simple chef d’équipe, mais comme un véritable coach : un guide qui sait écouter ses collaborateurs, identifier leur potentiel réel et les accompagner sur la voie du plein épanouissement. Proposer aux managers une formation spécifique allant précisément dans ce sens peut constituer un atout décisif à cet égard.
2) Instaurer la culture du feedback
Pour établir une relation mutuellement productive, un autre élément doit être pris en compte : le feedback.
Les managers qui sont davantage enclins à échanger avec leurs collaborateurs, en leur faisant régulièrement des retours et en souhaitant qu’ils en fassent autant, auront plus de chances d’avoir des équipes motivées et productives.
C’est pourquoi il est important que les RH favorisent le développement d’une solide culture du feedback, en instaurant, en accord avec la direction, des temps institutionnels fréquents au cours desquels les managers et les équipes peuvent échanger leurs points de vue de manière constructive.
Les bilans et les feedbacks réguliers sont indispensables non seulement pour favoriser l’évolution des ressources, mais aussi pour leur accorder leur juste valeur : si le manager a l’habitude d’échanger avec ses collaborateurs, cela prouve son intérêt pour eux ainsi que son implication dans leur évolution (personnelle et professionnelle). Cela positionne également les deux parties – le leader et la personne placée sous sa responsabilité – comme des éléments actifs dans les processus de l’entreprise.
La culture du feedback constitue donc un outil très efficace pour développer les compétences des ressources et favoriser l’évolution des talents, en croyant en eux.
3) Définir des objectifs clairs et atteignables
Une autre étape essentielle consiste à inviter les managers de l’entreprise à fixer des objectifs personnalisés, concrets et réalisables pour chaque membre de leur équipe.
En effet, comme nous l’écrivions plus haut, le leader qui témoigne d’attentes élevées aura une équipe capable de les satisfaire, à condition toutefois que les objectifs fixés soient :
4) Offrir des opportunités de formation
Dernier élément, et pas le moins important : la formation.
Donner à un salarié la possibilité d’améliorer et d’optimiser ses compétences, cela signifie croire en sa capacité à progresser.
Lorsqu’une entreprise investit dans l’évolution de ses salariés, cela a pour effet d’insuffler confiance, courage et motivation, aussi bien dans les phases opérationnelles de la vie en entreprise que lors de la pré-insertion. Comme nous l’avons souvent écrit, la formation représente un levier d’attraction et de rétention des talents et permet d’établir une relation vertueuse entre le leader et son équipe.
Une entreprise qui sait valoriser ses ressources en leur offrant des possibilités d’évolution intéressantes, à travers des plans de formation et un leadership positif et proactif, se révèle également attractive aux yeux des candidats potentiels.
Investir dans ses équipes, c’est investir en soi.
Si le rôle du responsable RH est de découvrir le talent qui se cache derrière la ressource lors de la phase de pré-insertion en entreprise, sa mission sera ensuite de veiller à ce que ce potentiel puisse se déployer dans un environnement professionnel favorable, grâce à un leadership positif et proactif qui croit en ses équipes.
Une tâche difficile ? Peut-être, mais passionnante et surtout extrêmement importante pour l’organisation.
Veiller à l’intérêt d’une entreprise, c’est prendre soin de ses ressources. Et prendre soin de ses ressources, c’est être attentif à leur évolution, en commençant par former des leaders positifs.
Toute personne qui occupe une fonction de leadership doit toujours avoir à l’esprit que son comportement se reflète sur celui des autres. Croire en ses collaborateurs, nourrir leur estime de soi, élever le niveau d’exigence sans toutefois courir le risque d’être irréaliste, c’est là le moteur de la productivité, la base de la motivation, l’antichambre de la réussite.
Pour l’individu, l’équipe et toute l’entreprise.